Toutes les professions requièrent un certain niveau de responsabilité. C’est en appréciant les risques liés à un certain métier que l’on évalue le niveau de responsabilité du professionnel qui l’exerce.

Dans un article précédent nous faisions état des effets secondaires liés aux traitements ostéopathiques. Dans cet article-ci nous étudierons ces effets secondaires du point de vue de l’ostéopathe et le risque qu’il encourt à pratiquer l’ostéopathie et à blesser, voire tuer son patient.

Le but de cet article est avant tout de :

_rappeler au futur étudiant en ostéopathie que cette profession engage une importante dose de responsabilité personnelle qu’il ne faut pas sous-estimer. L’implication de cette responsabilité est souvent ignorée dans le choix d’étudier en ostéopathie alors qu’elle devrait en être l’un des facteurs déterminants. En effet cette responsabilité est suffisamment pesante pour que certains ostéopathes cessent leur activité ou ne prennent aucun plaisir à leur pratique à cause d’elle.
_rappeler à l’ostéopathe comment cette responsabilité façonne de manière importante sa pratique, la faisant irrémédiablement tendre vers une approche plus douce (et pas forcément plus efficace) et pourquoi une pratique légèrement plus directe/forte/ferme/puissante peut augmenter de manière significative le nombre d’effets secondaires issus de nos traitements.

_et enfin d’aider le patient à savoir si l’effet secondaire dont il est victime à la suite d’un traitement ostéopathique est issu d’une incompétence de l’ostéopathe ou du simple fait du hasard, libre ensuite à lui de porter plainte ou non.

Absence de protocole => responsabilité plus importante du praticien

Les ostéopathes raffolent souvent du fait que leur thérapie ne possède pas de protocoles (ou très peu). En effet ce manque de protocole est effectivement un pied de nez vis à vis de la pensée scientifique (voir article sur ostéopathie, science et art). Car comment alors prouver scientifiquement l’efficacité de l’ostéopathie sans la présence de protocole ? Ceci met aussi dans l’embarras les professionnels de santé voulant pratiquer l’ostéopathie, car déontologiquement comment peuvent-ils justifier d’une pratique non prouvée scientifiquement ?

Mais cette absence de protocole possède un côté bien plus obscure, en effet elle responsabilise beaucoup plus le thérapeute: Une profession ou thérapie protocolaire déresponsabilise le professionnel, car « il n’a plus qu’à » suivre un protocole. Si alors un effet secondaire survient suite au traitement, le professionnel n’est pas inquiété car il a suivi le protocole. C’est alors le protocole qui est responsable, et en fonction du nombre d’effets secondaires consécutifs à son application, on le modifiera ou non pour améliorer le ratio bénéfice/risque. Cette approche protocolaire est le garde fou des professionnels de santé. Seule une faute particulièrement grave mettant en cause l’application du protocole pourrait inquiéter ce thérapeute.

Qu’en est-il de l’ostéopathie:

l’ostéopathe est aux manettes du traitement, c’est lui qui fait le choix des techniques qu’il doit utiliser ou non, et de la force/vitesse/direction avec lesquelles il doit les appliquer. Tant bien même qu’il ait fait le bon choix et qu’il ait appliqué la technique la plus optimale au niveau bénéfice/risque, un « drame » peut arriver. Le garde-fou « protocole » n’est pas là, l’ostéopathe est le direct et seul responsable de la malheureuse conséquence.

L’utilisation d’une aide thérapeutique tierce => comment augmenter cette déresponsabilisation

_Lorsque le médecin prescrit des médicaments par exemple, et si le patient décède suite à leur prise (entre 13000 et 34000 décès par an tout de même ! voir ici) il ne sera pas inquiété de se voir interdire de pratiquer car c’était la faute du médicament! À moins bien sûr qu’il ait fait une erreur importante comme prescrire des médicaments officiellement incompatibles entre eux ou connus incompatibles avec le patient.

_En kinésithérapie, si un patient se reclaque un tendon qu’il venait de se faire recoudre en faisant sa rééducation sur une machine alors qu’il suivait le « protocole B345 : temps x/poids y/fréquence z »  alors il ne sera pas responsable de la blessure de son patient => c’était « la faute à la machine » ou du protocole ou du chirurgien qui a mal recousu ou du patient qui n’a pas bien cicatrisé…

Qu’en est-il de l’ostéopathe ?

L’ostéopathe n’utilise pas d’outils thérapeutiques tierces car il n’utilise que ses mains. Imaginons un instant qu’il utilise une technique qui mette autant de tension que le protocole B345 sur le tendon du patient et que ce tendon lâche… Peut-il se déresponsabiliser aussi facilement de cette rupture tendineuse ? N’est-ce pas lui qui a appliqué cette tension ? N’est-il pas  alors responsable de cet effet secondaire ?

Ou encore imaginons qu’en effectuant une manipulation cervicale (si il était libre d’en faire une), le patient décède; il sera alors directement responsable alors que le médecin dont le patient est décédé d’une hémorragie digestive suite à la prise d’AINS pour son mal de cou, lui ne sera pas inquiété… (Rappel: près de 1500 décès/an par AINS et de l’ordre de grandeur inférieur à 5 décès/an pour les MC voir ici)

Un exemple réel de 2011-2012 de cette différence de responsabilité

tiré de « coup de gueule contre l’UMO« 

« Un seul kiné étant impliqué dans un incident (voir ci-dessus) et cette profession grimpe dans le top 3 des montants de dommages et intérêts les plus importants pour un patient. Parce qu’une approche manuelle (comme l’ostéopathie ou la kiné sans machine) implique directement la responsabilité du thérapeute, alors qu’avoir recours à des médicaments ou des protocoles vous déresponsabilise car ces protocoles ou médicaments prennent en charge cette responsabilité.

La preuve en est: avec 13 000 à 34 000 décès par an suite à la prise de médicaments (voir ici) on devrait quand même voir quelques pharmaciens ou médecins généralistes dans le top 10 des responsabilités individuelles ou très certainement collectives.

Figurez-vous que non, seulement une timide 7ème position pour la médecine générale avec un total de dédommagements (1,2 M d’€) inférieur au seul dédommagement du kiné (1,6M d’€) !!! voir ici.

Allez-y, reprochez aux ostéopathes leur dangerosité et leur implication directe dans des effets secondaires, mais pour les vôtres faufilez-vous et ne les assumez surtout pas… “Primum non nocere” vous aimez à répéter pour épater la galerie avec vos trois mots de latin ; je traduirais en Français “ne surtout pas prendre de responsabilités”.

D’ailleurs pour ce kiné ne pourrait-on pas argumenter que le médecin référant avait mal diagnostiqué la patiente car sa migraine d’Arnold était possiblement un symptôme d’une fragilité vasculaire voir ici? »

L’utilisation d’une thérapeutique tierce => ou comment se déresponsabiliser/déculpabiliser d’un manque d’amélioration

Il est important aussi de noter que l’utilisation d’une thérapeutique tierce permet aussi de déresponsabiliser/déculpabiliser le thérapeute d’une absence d’amélioration chez son patient. Cela est un garde-fou supplémentaire si l’on exclut toute pathologie sous-jacente ou tout phénomène environnemental qui entretient le problème.

_Si le patient a toujours mal au dos après sa prise de myorelaxant/AINS/codéine, le médecin pourra dire: « Je vous donne ce qu’il y a de plus fort, après on passe à la morphine ! Votre mal de dos est vraiment aiguë… » En clair les médicaments ne sont pas assez forts pour vous, en aucun cas le médecin ne peut se reprocher de ne pas faire le maximum pour son patient.  (en l’absence de toute thérapie nécessaire en dehors de son champs thérapeutique)

_Si le patient a toujours mal à son tendon après des séances de machines qui font « biiiip bzzzzz touiiiiite et vrrrrrrrrrrrrr », le kiné adepte des machines futuristes pourra dire: « J’ai pourtant la meilleure machine FZ827 à neutron-électro-magnétique-vibrante, votre tendinite est vraiment récalcitrante. » Jurant sur les vertus de son engin, le kiné-machiniste utilisant un outil thérapeutique tierce se déculpabilisera facilement du manque de progrès de son patient.

_Qu’en est-il de l’ostéopathe ?


Ne pouvant s’appuyer sur une thérapeutique tierce, et une fois qu’on a éliminé une pathologie sous-jacente et la responsabilité directe du patient (avoir fait un parcours du combattant le lendemain du traitement par ex), le manque d’amélioration significative après un traitement ostéopathique sera souvent directement (à tord ou à raison) lié aux compétences de l’ostéopathe. Après seulement un seul traitement infructueux, les compétences de l’ostéopathe sont sur la sellette et rares sont les patients qui reviendront si après 2 traitements il n’y a pas d’améliorations significatives. Ce manque d’amélioration va naturellement tendre à culpabiliser le thérapeute. Cette culpabilité n’est pas forcément facile à accepter mais quelle formidable émotion négative pour  le pousser à s’interroger sur les points améliorables de son diagnostic et de son traitement pour des cas similaires à l’avenir.

Pourquoi utiliser des techniques puissantes augmente de manière significative la sévérité des effets secondaires

Comme nous l’avons vu précédemment, l’un des problèmes pour l’ostéopathe est le fait qu’il est directement responsable des effets secondaires que le patient va ressentir. Le but est alors pour lui de minimiser la possibilité que ses patients puissent développer des effets secondaires importants à l’issue de ses traitements.

Le schéma suivant est une (trois) courbe de Gauss représentant la sévérité des effets secondaires que vont rencontrer les patients d’un ostéopathe au cours de sa carrière en fonction du type d’approche de son ostéopathie.

On décrira avoir une approche douce, un ostéopathe qui utilise une approche exclusivement crânienne, fasciale, induction des nerfs, artères, techniques fonctionnelles… Aucune technique de thrust (cracking) ou techniques forcées.

Approche standard: TGO, quelques manipulations vertébrales, viscérales, articulaires, crânien etc. Utilisation modérée des techniques directes puissantes.

Approche puissante : Exclusivement des techniques de Thrust (cracking) ou techniques articulaires puissantes, forcées…

D’après ce schéma on comprend pourquoi un ostéopathe qui utilise plus de techniques puissantes au cours de sa carrière encourt le risque d’avoir des patients qui auront des effets secondaires plus importants. En effet ces techniques ont plus de chance de créer des micro-traumas, et par conséquent augmenter les réactions inflammatoires post-traitement. Les chances de déclencher des hernies discales, casser une côte (… ou pire) augmentent considérablement.

A contrario si l’ostéopathe ne diminue qu’un temps soit peu la fréquence de ces techniques dites « puissantes » alors le risque de déclencher des effets indésirables importants est en chute libre. Ceci est dû à la nature de la courbe de Gauss.

Bien évidemment il faudrait inclure la qualité du diagnostic qui influe de la même manière. Un peu plus de diligence dans le diagnostic réduit aussi de manière importante les risques pour le patient.

Le piège du « besoin de résultats » du jeune ostéopathe => prise de risque plus importante 

Le nombre de jeunes ostéopathes grandissant au rythme de plus de 2000 par an, le marché se sature. Pour développer sa patientèle le jeune ostéopathe doit viser l’excellence, il a la pression du résultat. Une vertèbre qui résiste est une forte tentation à la manipulation. De plus la manipulation vertébrale est en soi impressionnante et permet au jeune ostéopathe de « gagner le respect du patient ». Cet aspect psychologique de la relation patient/thérapeute peut avoir une forte influence sur l’issue du traitement et sur le fait que le patient revienne, car son « ostéo manipule bien »…

Or comme nous l’avons vu la manipulation vertébrale abusive et les techniques directes puissantes entraînent avec elles leurs lots d’effets secondaires. Le jeune thérapeute expose alors ses patients à de nombreux effets secondaires (côtes fêlées, hernie discale déclenchée…). Bien qu’horrifiant, ce processus est inévitable et nécessaire car il permet au jeune ostéopathe de savoir jusqu’où ça passe et à partir d’où ça casse…

Au fur et à mesure qu’il sera confronté à ces situations délicates, le jeune ostéopathe devrait  tendre vers une utilisation plus raisonnable des techniques puissantes et des manipulations vertébrales.

Parfois une mauvaise expérience peut faire éradiquer de la caisse à outils toute une panoplie de techniques efficaces mais délicates à maîtriser. L’ostéopathe s’amputera alors d’une approche qui parfois est nécessaire à utiliser pour obtenir l’amélioration escomptée.

Le risque aléatoire, imprévisible et inhérent à l’approche ostéopathique

Malheureusement, parfois, malgré toutes les précautions, un effet secondaire grave telle que la mort ou une paralysie peut survenir. Ce qui suit est le récit d’un ami qui me raconta une expérience récente:

R. est allé « snowboarder ». Lors de la première journée il fit une chute et se cogna la tête en arrière contre la piste. Il fût sonné et s’est même évanouit quelques secondes sous le choc. Après avoir retrouvé ses esprits, il arrivait à bouger sa tête et continua ses descentes. À la fin de la journée il est allé voir le médecin de la station sous pression de sa famille (il est quand même tombé dans les pommes, et son cou lui faisait mal). Le médecin lui demanda si il arrivait à tourner la tête, et par principe de précaution l’envoya faire une radio. La radio était floue mais le radiologue rendit son verdict : « Circulez y’a rien à voir ». Le médecin de la station en conclu une entorse cervicale. Il prit donc des anti-inflammatoires jusqu’à la fin de la semaine et continua de surfer. De retour sur Paris son cou lui faisait quand même mal, de plus des picotements se faisaient sentir dans son bras droit. Son médecin l’examina et l’envoya faire une seconde radio car l’autre était floue. La seconde radio était négative, rien à signaler. Prenez des anti-inflammatoires ça va passer, ce n’est qu’une irritation nerveuse post-traumatique.
Puis se déclenchèrent des vertiges et les fourmillements dans le bras et la raideur dans la nuque s’empirait, il décida donc de consulter un médecin sportif qui lui dit d’aller refaire des radio et un scanner avant d’envisager toute thérapeutique. Sur la Radio RAS encore une fois, par contre sur le scanner C4 et C5 étaient fracturées et C5-C6 luxées… => direction à l’hôpital et opération sur le champs pour lui poser une plaque de soutien au niveau cervical.

N’ayant pas du tout été au courant de cette histoire j’ai été effaré, effrayé par cette histoire. Je n’ai pu m’empêcher de me ressasser si j’aurais vu qu’il avait un problème aussi grave, si ma capacité de diagnostic aurait été suffisante et si j’aurais fait une mauvaise manipulation… « Bien sûr que non !!! je ne serais pas tombé dans le piège, je suis le meilleur ostéopathe« , voudrais-je croire et m’en convaincre, mais sur 20000 ostéopathes combien d’entre nous auraient fait une telle boulette et rendu mon ami végétable?

Conclusion

On ne peut pas nier le fait que l’on provoquera demain un effet secondaire important chez un patient, ou qu’on loupe une pathologie grave, par contre on  peut fortement diminuer leur fréquence et importance en se réfrénant de trop manipuler hâtivement et puissamment nos patients, et en pratiquant un examen rigoureux à chaque traitement même (et surtout) sur les patients que l’on connait bien.


On croit l’ostéopathie avant-gardiste par sa philosophie et son approche mécanique holistique, mais cette question de responsabilité directe du thérapeute en fait une thérapie pratiquement anachronique. Aux Etats-Unis l’ostéopathie n’est plus vraiment pratiquée, les Dr Osteopaths font surtout de la prescriptions d’anti-inflammatoires. Ce n’est que l’aboutissement d’une logique de déresponsabilisation thérapeutique dans un pays où l’on poursuivrait pour une fortune une simple rupture de cartilage costal. Ne va-t-on pas doucement dans la même direction en France et en Europe ? L’ostéopathe sera-t-il motivé à pratiquer dans un pays où la moindre inévitable erreur équivaudra à un procès humiliant et coûteux?

Que faut-il aussi penser du fait qu’en France la formation minimum légale en  ostéopathie est de 2660hrs contre 4200hrs recommandées par l’OMS?