Ne pas voir ses biais palpatoires c’est ne pas douter de sa palpation. Cela rend beaucoup plus simple son interprétation de la réalité ; tout devient certitude car basé sur l’infaillibilité de notre ressenti. On raisonne alors de manière binaire, oui/non, blanc/noir.

Cependant pensez-vous vraiment que notre palpation soit infaillible ?

Douter de sa palpation nous permet de raisonner en terme de probabilité (même si approximative) et de se laisser l’opportunité de s’imaginer avoir faux dans l’interprétation de notre ressenti. Il est alors beaucoup plus facile de remettre en question son jugement car il n’est plus attaché à une certitude. Il faut donc conscientiser ces biais palpatoires afin de se permettre cette flexibilité intellectuelle. Voici donc une liste non-exhaustive de quelques biais palpatoires identifiés par votre serviteur.

Concavité/convexité et la notion de densité

Ce biais-ci est assez fréquent.

La pression se calcule selon la formule suivante : Pression = force/surface (N/m²). Ce qui fait que lorsqu’on applique une force identique  mais que la surface de contact augmente alors la pression diminue.

Par ailleurs lors de la palpation d’une zone, si cette surface est convexe alors le contact avec la pulpe de notre doigt va diminuer à l’inverse la palpation d’une surface concave va augmenter la surface de contact avec notre doigt.

Ainsi la sensation de pression ressenti par notre doigt à l’application d’une force identique va considérablement varier en fonction de la forme de la structure palpée. Considérablement car si on schématise la zone de palpation par un disque, alors si le diamètre de ce disque de contact diminue de moitié alors la pression augmente par un facteur de 4 ! et inversement si le diamètre du disque de contact augmente par 2 alors la pression diminue par un facteur de 4 !

Rappelez-vous alors cette sensation de densité osseuse, est-ce vraiment une densité osseuse ou juste cette surface convexe qui épousait un peu moins la surface de votre doigt ?

Fatigue musculaire et sensation de release

Tenir une position statique sous la contrainte d’une force entraine une fatigue musculaire chez le thérapeute. Cette fatigue musculaire va entrainer une baisse de la force émise par le thérapeute. Il y a danger alors pour le thérapeute de méprendre sa propre baisse de force musculaire pour un relâchement des structures du patient.

Les facteurs qui vont prédisposer à cette fatigue musculaire vont être le temps, la contrainte (le poids soulevé, la force émise ou un moment de force plus important sur la main du thérapeute), et la capacité physique/physiologique du thérapeute.

Ce phénomène est utilisé dans certaines inductions d’hypnose :
Collez vos avant-bras devant vous, fléchissez vos coudes à 90° et mains à plat. Croisez vos pouces et 3,4,5èmes doigts mais gardez vos index tendus. Maintenant écartez vos index et gardez-les écartés aussi longtemps que possible. Vous allez vite vous apercevoir qu’ils se rapprochent l’un de l’autre. C’est ici que la suggestion hypnotique leurre le cerveau en lui faisant croire que le fait d’imaginer qu’un aimant se situe au bout de vos doigts les rapproche l’un de l’autre.

Qu’en est-il du relâchement de ce sacrum dense qu’il fallait profondément engager pendant plusieurs minutes ? Qu’en est-il de l’utilisation d’une technique tissulaire sur une mortaise de cheville lorsqu’il faut maintenir une compression pendant une longue minute ?

Sans aller jusqu’à remettre en doute la fiabilité de ces techniques, se dire que le relâchement ressenti n’est pas au niveau de relâchement effectif est perturbant, ne trouvez-vous pas ?

Côté dominant et faux positifs

La plupart du temps le patient et le thérapeute vont avoir une main/pied/côté dominant. Ces côtés dominants vont parfois interagir de manière croisée. Ainsi prenons l’exemple courant d’un thérapeute droitier testant un patient droitier (main et jambe). Lorsque le thérapeute va tester la force musculaire de l’extenseur du I pour évaluer la motricité de la racine L5, le thérapeute va utiliser sa main droite sur le gros orteil gauche du patient utilisant de fait sa main la plus forte pour tester la force musculaire du côté plus faible du patient. Ceci n’est pas aidé par la comparaison du côté opposé car la main faible du thérapeute va tester le côté fort du patient ! Assurément cela peut donner la sensation d’une légère faiblesse musculaire là où il n’en est rien !

Rappelez-vous d’inclure ce biais possible lors de vos testings musculaires, surtout si les faiblesses semblent subtiles…

L’asymétrie toute relative

La symétrie et l’asymétrie… Il y a au moins six sous-biais concernant cette recherche de la symétrie.

Tout d’abord cette recherche de la symétrie se repose sur le côté visuel du thérapeute. Il va placer ses doigts sur des repères anatomiques (EIPS, EIAS, AILS…). Très facilement, un replis de peau lors de cette mise en position des mains peut de manière significative modifier la hauteur du positionnement des pouces.

Ensuite si le thérapeute souffre d’un strabisme ou d’une astygmatie cela peut réellement compromettre sa capacité à comparer ces repères avec une ligne horizontale imaginaire.

La prise de repère des EIAS lorsque le patient est en décubitus, force le thérapeute à ne pas être strictement à l’aplomb du bassin, et/ou la tête pas de face. Une recette pour une imprécision vous en conviendrez…

4ème sous-biais, le squelette du patient n’est pas symétrique ! facilement l’EIAS peut anatomiquement  être plus haute d’un côté ou de l’autre du bassin. Ainsi une position asymétrique de ses doigts n’évoque pas nécessairement une bascule du bassin !

5ème sous-biais Lors d’une expérience en TD avec des étudiants j’ai pu remarqué que l’alignement de l’élastique du sous-vêtement va biaiser vos repères d’horizontalité.

6ème sous-biais, créer un lien de causalité entre asymétrie et TMS est peut-être un peu trop exclusif à mon sens, car une asymétrie compromettait-elle nécessairement une capacité compensatoire ?

Conscientisez-vous à chaque fois tous ces paramètres lors de votre évaluation des repères anatomiques de votre patient ?

L’effet idéomoteur

L’effet idéomoteur a déjà été traité de nombreuses  fois sur ce site (ou sur ce qu’il fût « osteopathie-64 »). Petit rappel, cet effet idéomoteur c’est l’augmentation du tonus musculaire lorsqu’on imagine contracter ce même muscle. Cette augmentation de tonus va créer une légère contraction inconsciente « le mouvement idéomoteur ».

Exemple : si vous placez une main sur une balance et que vous imaginez la lever ou que vous imaginez que des ballons d’hélium sont accrochés à votre poignet alors votre main sera plus légère sur la balance (pas vraiment en fait, mais vous comprenez la logique…)

L’effet idéomoteur c’est l’explication rationnelle du fonctionnement du pendule (a contrario du flux énergétique qui va transcender le « médium »). Cet effet est suffisamment subtil pour que « le médium » ait la sensation que ce mouvement se manifeste à son insu.

Est-ce que la palpation lors de l’ostéopathie crânienne et la motilité viscérale ou fasciale pourrait reposer sur cet effet idéomoteur ? Je vous laisse parcourir les articles suivant pour mieux en comprendre la portée. (Ici, ici et ici)

La position des mains dicte-elle le ressenti crânien ?

Si l’on admet que l’effet idéomoteur joue un rôle important en crânien et sur le principe de motilité alors il devient intéressant d’analyser l’influence de la position de la main du thérapeute sur le mouvement qu’il va pouvoir émettre/ressentir. On s’extirpe alors du paradigme de la mécanique crânienne. Ce n’est plus les os du crâne qui bougent d’une certaine manière, mais la position de nos mains sur le crâne combinée à un effet idéomoteur rythmique qui nous donne l’illusion d’une mobilité crânienne spécifique des différents os du crâne…

Vous pourrez ici comprendre la théorie de ce mécanisme sur la SSB, ici sur les temporaux ou encore ici sur les pariétaux.

Palpation « énergétique »

Ce n’est pas vraiment une approche qu’utilise votre serviteur cependant le phénomène est suffisamment intéressant et utilisé par certains ostéopathes pour s’y intéresser.

On retrouve 2 biais intéressants :

La variation de l’étirement du nerf médian du thérapeute : lorsque la main est en extension alors cela étire une première fois le nerf médian responsable pour une grande partie sensation de la paume de la main. Si le coude est en relative extension et que l’on effectue des mouvements d’abduction/adduction du bras alors cela fait varier significativement les contraintes sur ce nerf médian, provoquant des « sensations » dans la paume de la main. Ces sensations peuvent être facilement confondues pour ou polluées un éventuel ressenti « énergétique »…

Couche énergétique et calibrage thermique : si la palpation du thérapeute est suffisamment subtile pour ressentir une variation thermique à quelques cm de la peau, certains vont même jusqu’à décrire leur main comme étant refoulée du corps ou à l’inverse attirée par le corps lorsqu’il y a un « vide énergétique ». Cela pourrait-il s’expliquer par un phénomène de calibration thermique indirecte et non comme effet physique direct ? Si le corps du patient est plus froid à certain endroit alors pour garder une sensation de chaleur identique le thérapeute va rapprocher sa main du corps du patient lui donnant alors l’illusion d’un vide énergétique (en fait une baisse de température locale)

à lire ici pour aller plus en détail sur le sujet.

Conclusion

Tout d’abord il est à noter que certains biais mentionnés ci-dessus n’ont pas été validés scientifiquement.

Il existe certainement d’autres biais (comme les dysfonctions propres du thérapeutes ou les biais relatifs à la kinésiologie) , ou ceux dont votre serviteur en est encore victime car il ne les a pas identifiés ! Ce sujet de biais palpatoire est malheureusement peu abordé pendant le cursus des étudiants en ostéopathie ou autres thérapies manuelles, on nous fait même souvent état de l’inverse à savoir faire confiance à sa palpation !

Certes douter de sa propre logique complexifie la situation car elle empêche une réflexion binaire, cependant elle est notre salut pour éviter les polarisations que les certitudes engendre.

En vous souhaitant une bonne année,